Texte 2 – TAFEM 2008
En à peine plus d’un mois, l’Inde puis le Japon ont, chacun, organisé avec éclat leur sommet Afrique. Une riposte en quelque sorte à celui que Pékin avait tenu en novembre 2006. et qui avait rassemblé quarante-huit chefs d’Etat ou de gouvernement du continent noir. Du jamais-vu en Asie.
Tokyo a donc mis les petits plats dans les grands pour recevoir les dirigeants des pays africains, dans la ville de Yokohama, du 28 au 30 mai. Avec succès. Pour cette quatrième édition de la conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Tokyo International Conference on African Development, connue sous le nom de Ticad), cinquante- deux pays étaient représentés – plus qu’à Pékin deux ans plus tôt.
Le gouvernement japonais a décidé de doubler son aide publique au développement à destination de l’Afrique, pour la porter à 1,2 milliard d’euros d’ici à 2012. Il s’est également engagé à accélérer le programme alimentaire, en aidant à la production de riz avec l’objectif d’aller vers un doublement d’ici dix ans. Ce qui n’est certainement pas un détail quand on voit la flambée des prix des produits alimentaires. Mais dans son discours d’ouverture, le premier ministre Yasuo Fukuda a mis l’accent sur la « construction d’infrastructures lourdes (…) routières mais aussi portuaires ». De quoi contribuer au dynamisme du continent, selon son expression, mais surtout favoriser les activités des entreprises privées. « Quand les investissements directs en provenance du Japon augmentent, les transferts de technologies et du savoir-faire augmentent également », a assuré le premier ministre. Dans la foulée, un fonds de soutien pour les entreprises nippones voulant investir sur le continent noir a été créé. Il est doté de 5 milliards d’euros sur cinq ans.
L’Inde n’est pas en reste, qui a tenu son premier sommet africain du 4 au 8 avril dernier. Plus modeste, il n’en fut pas moins important. New Delhi entend ainsi montrer au monde en général et à l’Asie en particulier qu’il faut désormais compter avec les investissements (publics et privés) indiens. L’opération vise aussi à séduire les dirigeants africains, qui demeurent déterminants dans les choix des investisseurs. Bien entendu, les grands groupes indiens étaient eux aussi invités à la fête… qui a commencé depuis quelques années déjà. En 2003, les échanges commerciaux entre l’Inde et l’Afrique s’élevaient à 6,5 milliards de dollars; en 2007, à 25 milliards de dollars. Cela reste deux fois moins important que le commerce sino-africain, mais la courbe est impressionnante. D’autant que l’Inde comme la Chine concentrent leurs relations économiques sur cinq pays: l’Afrique du Sud, l’Angola, le Mozambique, la Zambie, le Zimbabwe. La concurrence peut s’avérer épique.
Bien sûr, l’approvisionnement en hydrocarbures et en matières premières constitue la principale motivation de cette course folle. La Chine a quelques longueurs d’avance et ne s’embarrasse guère de grands principes – pas plus d’ailleurs que l’Inde ou le Japon et, avant eux, les Etats Unis ou la France. Toutefois, Pékin ne se contente pas de faire ses emplettes en ressources énergétiques et minières ou d’écouler ses marchandises bas de gamme et peu chères . Elle participe à la construction d’infrastructures (routes, ponts, ports, écoles…). Il est d’ailleurs significatif que les autorités nippones aient décidé d’investir dans ce domaine. Pour une Afrique cantonnée jusqu’alors aux « FMI’s boys » et aux « costumes cravates» qui ont démantelé les services publics et écrasé les cultures nationales, cette arrivée change singulièrement le paysage. Cela explique le succès de ce que l’on a appelé le « soft power » chinois. Les vieilles chasses gardées américaines, françaises et autres sont désormais soumises à rude épreuve. Cela ne transforme pas pour autant les groupes chinois – publics ou privés en chevaliers blancs de la croissance équilibrée et égalitaire. Loin s’en faut. Leurs méthodes suscitent parfois des réactions vives des populations : c’est le cas en Zambic, où. à la suite d’un accident minier en 2005 (cinquante morts), des manifestations antichinoises se déroulent régulièrement, en Afrique du Sud et dans d’autres nations.
La Chine a deux visages: celui de l’anti-FMI et de l’anti-Banque mondiale dont l’arrogance n’est plus acceptée, d’une part; celui d’exploiteur des ressources naturelles et des travailleurs, de l’autre. L’un des mérites de Michel Beuret et Serge Michel dans leur dernier ouvrage La Chinafrique (photographies de Paolo Woods. Grasset. 2008) est de mettre en évidence ce double aspect, loin des clichés. Par là même, ils aident à comprendre ce qui se joue réellement. Une chose est sûre: «Jamais l’Occident ne s’est autant intéressé à l’Afrique que depuis que la Chine est partie à sa conquête », ainsi qu’ils le notent.
Le Monde Diplomatique Samedi 31 Mai 2008